BD : Le conte érotique post-apocalyptique “La Survivante”


Le conte érotique postapocalypse de Paul Gillon, disparu en mai, magnifiquement réédité. Paul Gillon s’est éteint le 21 mai dernier, et c’est comme s’il avait conspiré toute sa vie pour que sa disparition fût la plus discrète possible. Comme si, par une sorte de prescience ironique, il avait choisi d’aller systématiquement à l’encontre de ce qui serait en vogue au moment de sa sortie. On vénérerait les pionniers du classicisme franco-belge de Tintin et Spirou ? Il débuterait sa carrière dans France-Soir et Vaillant, l’ancêtre de Pif Gadget. On célébrerait la ligne claire ? Il s’inspirerait du trait américain, réaliste et énergique d’Alex Raymond et Milton Caniff. On louerait la cohérence des "auteurs" ? Il serait touche-à-tout, passant de la chronique sociale (13, rue de l’Espoir) au récit d’aventures (Jérémie), de l’adaptation littéraire (Moby Dick, Notre-Dame de Paris), à la politique (Fils de Chine, Histoire du socialisme en France) et à la science-fiction (Les Naufragés du temps). Pire, il oserait le crossover, mêlant l’érotisme à l’histoire (Jehanne) et à la SF (La Survivante). Et c’est sans doute pour éviter toute publicité que Paul Gillon a préféré s’éclipser au moment même où l’on réédite cette dernière série. La Survivante, c’est Aude Albrespy, seule rescapée de la mystérieuse catastrophe qui a foudroyé toute vie sur terre. Dans une France désespérément vide, pétrifiée et muséifiée, ne subsistent que les robots, qui continuent leurs activités ordinaires comme si de rien n’était. Aude s’installe au Crillon, mange quatre étoiles et surgelé, et n’a qu’un humanoïde hautain pour compagnie et que le sexe pour se rattacher encore à son humanité. Outre sa beauté graphique (sublimée ici par les couleurs vintage d’Hubert), La Survivante trouve un rare équilibre entre l’ambition du récit et son caractère érotique. Il n’y a ici ni prétexte, ni alibi, ni hypocrisie, mais la célébration du sexe comme l’ultime, beau, dérisoire et désespéré feu d’artifice sur un monde déshumanisé. "Si Paul Gillon est notre Alex Raymond, la seule question qui s’impose est celle-ci : qui sera le Paul Gillon du futur ?", s’interrogeait Jean Giraud/ Moebius, avant d’ajouter : "Je crains que la réponse ne soit pour l’instant que pure science-fiction…" Jean-Baptiste Dupin La Survivante (Drugstore), 192 pages, 30 euros. (Ref du site : Les Inrocks)