La Route - Roman de Cormac McCarthy


« Les nuits obscures au-delà de l'obscur et les jours chaque jour plus gris que celui d'avant. » Voici donnés l'atmosphère, le décor, la tonalité générale dans laquelle baigne ce grand roman. Donnée aussi, une idée de la scansion singulière et admirable de la phrase de Cormac McCarthy - un rythme qui, joint au mystère dont est emprunt ce récit, à son austère lenteur, à sa lugubre beauté, confère véritablement à La Route la grâce d'un long poème métaphysique, funeste et envoûtant. Un poème tout ensemble initiatique et sépulcral, où se trouvent condensées, cristallisées, dégagées de ­toute tentation d'euphémisme, les obsessions et les hantises de McCarthy, sans cesse revisitées, de livre en livre, depuis plus de quarante ans : la violence des hommes, le rude combat que se livrent en ce monde le Bien et le Mal - la victoire de plus en plus manifeste de celui-ci, la promesse d'éternelle douleur et d'infini chagrin à quoi se réduit le sort de l'espèce humaine.

Laquelle humanité, dans La Route, est plus proche que jamais de l'extinction - même s'il lui reste assez de force pour continuer de nuire, de s'infliger à elle-même souffrances et offenses. Il ne demeure pourtant manifestement plus grand monde à la surface de la terre. On ne sait pas très bien ce qui s'est produit - apocalypse nucléaire ou colère de Dieu ? Quoi qu'il en soit, voici un homme et son jeune fils, seuls. Au fil des « nuits obscures au-delà de l'obscur », des « jours chaque jour plus gris que celui d'avant », ils arpentent un continent désolé, des campagnes ruinées, des villes mortes. L'homme et l'enfant marchent vers le sud -- sans doute les choses ne vont pas mieux là-bas, mais il y fait moins froid. Ils ont faim, ils ont peur.
Des hommes qu'ils croisent parfois, ils se cachent : ce sont des hordes de barbares, esclavagistes et anthropophages. La nuit, tandis qu'il veille sur le sommeil de l'enfant, l'homme est visité par des visions effroyables - des morts-vivants, une Bête menaçante qui n'a d'égal en monstruosité que celle des Ecritures. Il pense : « Qu'avaient-ils fait ? L'idée lui vint qu'il se pourrait même dans l'histoire du monde qu'il y eût plus de ­châtiments que de crimes mais il n'en tirait guère de réconfort. » L'enfant, lui, accepte stoïquement la situation. Et quand il inter­roge son père, c'est pour vérifier s'ils sont bien, père et fils, « du côté des gentils », et non de celui des brutes, des monstres.

Entre roman d'épouvante et parabole escha­tologique, La Route s'offre à lire aussi comme un roman d'amour - cet amour qui unit l'adulte et l'enfant, et qui peut-être préserve l'homme de glisser vers la barbarie. Ce sentiment, McCarthy lui confère une intensité telle que les ténèbres alentours ne parviendront pas à l'étouffer et l'éteindre.

Nathalie Crom - Telerama n° 3025 - 05 janvier 2008
 

L'adaptation cinématographique du dernier livre de Cormac 'No Country For Old Men' McCarthy ne pouvait pas être une chose facile, cela va de soi. Une histoire post-apocalyptique dénuée de grandes scènes catastrophes, de longs dialogues entre un père et son fils à propos de sujets difficiles (par exemple, le sens de la vie, la religion, le suicide, ...) et des confrontations incessantes avec des sinistres survivants : voici les ingrédients principaux de l'ode émotionnelle de McCarthy à son fils. Et il faut le dire : le réalisateur du film 'La Proposition', John Hillcoat, n'a pas du tout opté pour un chemin hollywoodien tout tracé. Les acteurs principaux Viggo Mortensen et Kodi Smit-McPhee ont l'air de véritables vagabonds. Le jeu de la caméra dirigée par Javier Aguirresarobe ne recule devant aucun détail sordide. Seul le jeu subtil de Nick Cave et Warren Ellis nous offrent de temps à autre un peu de quiétude. L'approche 'no nonsense' de Hillcoat fait que certains clichés du cinéma procurent, ce qui est étonnant, un sentiment de sincérité. Par exemple, les flashbacks de Charlize Theron en tant que mère et femme fonctionnent à merveille, alors que la première confrontation de l'enfant et de la chute d'eau est réellement envoutante. Dommage que la fin ne parviennent pas à provoquer le même KO moral que l'adaptation de 'No Country For Old Men', réalisée par les frères Coen.

 
 
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La Route
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